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Aperçu de la Jurisprudence Récente de la Cour De Cassation concernant la Loi Relative aux Assurances de 2014

Comme d’habitude, à l’approche de la nouvelle année, l’équipe Insurance de Lydian revient sur certains arrêts intéressants rendus par la Cour de cassation au cours de l’année écoulée concernant la loi relative aux assurances de 2014 (Loi Assurances). Cette année, la Cour s’est penchée sur divers sujets relatifs aux assurances, notamment l’obligation de notification de l’assureur envers son assuré, l’interprétation des conditions de la police et l’action de la personne lésée à l’encontre de l’assureur. 

1. Prescription de l’action de la personne lésée à l’encontre de l’assureur

1.1 Le paiement d’une provision 

L’article 89, § 5 de la Loi Assurances concerne l’interruption de la prescription de l’action de la personne lésée (au sens de l’article 150 de la Loi Assurances) à l’encontre de l’assureur :

“La prescription de l'action visée à l'article 88, § 2, est interrompue dès que l'assureur est informé de la volonté de la personne lésée d'obtenir l'indemnisation de son préjudice. Cette interruption cesse au moment où l'assureur fait connaître par écrit, à la personne lésée, sa décision d'indemnisation ou son refus.”

Dans un arrêt du 11 septembre 2020 (qui n’a été publié qu’en 2021), la Cour de cassation a jugé que l’action découlait du droit propre de la personne lésée à obtenir une indemnisation à l’encontre de l’assureur. Le délai de prescription normal de cette demande est de cinq ans à compter du fait générateur du dommage ou, s’il y a infraction pénale, du jour où celle-ci a été commise. 

Selon la Cour, le versement par l’assureur d’une provision au bénéfice de la personne lésée prouve nécessairement que l’assureur avait déjà connaissance de l’intention de la personne lésée d’obtenir une indemnisation avant même la date du paiement.

Le paiement de la provision est donc suffisant pour prouver que le délai de prescription a bel et bien été interrompu.

 

1.2 Le refus d’un règlement amiable par la personne lésée

Un an plus tard, le 20 septembre 2021, la Cour a eu à nouveau l’occasion de se prononcer sur l’application de l’article 85, § 5 de la Loi Assurances. Il s’agissait, en l’espèce, de savoir à quel moment le délai de prescription est interrompu.

Selon la Cour, l’interruption ne prend fin que lorsque la personne lésée peut déterminer avec certitude lors de la réception de la communication écrite de l’assureur, si ce dernier indemnisera son préjudice. La Cour a précisé qu’il revient au juge du fond d’apprécier en fait si la communication de l’assureur est suffisamment claire.

En l’espèce, l’assureur avait formulé par écrit une offre de règlement amiable à la personne lésée, qui n’a pas été acceptée par cette dernière. En dépit de ce refus, l’assureur a versé le montant sur le compte de la personne lésée. La proposition de règlement amiable mentionnait en outre que “la présente proposition est faite sans reconnaissance de responsabilité et sans préjudice aux droits et actions de l'assuré. En cas de discussion sur le montant offert, nous retrouvons notre entière liberté d'appréciation”.

Selon le juge du fond, cette offre de règlement amiable constituait une décision d’indemnisation qui a été concrétisée par le paiement effectif. Il était également d’avis que "même si [l’assureur] a émis des réserves, [la personne lésée] ne pouvait plus ignorer que [l’assureur] avait décidé de l’indemniser puisque le paiement est intervenu".

La Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que le juge du fond ne pouvait pas déduire de ces déclarations que la personne lésée avait été en mesure de déterminer, après avoir reçu la lettre, si l’assureur indemniserait son préjudice. La lettre n’avait donc pas mis fin à l’interruption. Le paiement ultérieur n’y a rien changé.

Les assureurs doivent donc toujours indiquer clairement et sans équivoque s’ils indemnisent ou non la personne lésée pour les dommages que celle-ci a subis afin d’interrompre valablement le délai de prescription. Dans l’hypothèse où l’assureur formule une offre de règlement amiable et que l’assuré la refuse, la prescription n’est pas nécessairement interrompue. Pour mettre fin à l’interruption, il est important que l’assureur indique dans sa proposition que le refus de celle-ci signifie qu’il ne versera aucune indemnisation.

2. Indemnité de procédure à charge de la partie civile devant la juridiction répressive

En vertu de l’article 153, § 5 de la Loi Assurances, l’assureur peut intervenir volontairement dans un procès intenté devant la juridiction répressive dans les mêmes conditions que si le procès était porté devant la juridiction civile. L’article 162bis, al. 2 du Code d’instruction criminelle prévoit qu’une partie civile ne peut être condamnée à payer une indemnité de procédure pour une procédure menée devant le tribunal de police que si elle a lancé une citation directe ou qu’elle a greffé une action distincte sur une citation directe lancée par une autre partie civile et qu’elle a ensuite succombé.

En l’espèce, l’assureur était intervenu volontairement dans la procédure pénale engagée à l’encontre de son assuré, à la suite de quoi l’assuré avait, à son tour, intenté une action à l’encontre de son assureur. La demande civile de l’assuré à l’encontre de son assureur intervenant volontairement a toutefois été déclarée non fondée. Le juge a estimé que l’assuré n’était pas redevable d’une indemnité de procédure. L’assureur n’était pas d’accord et a formé un pourvoi en cassation. Il a fait valoir que l’assuré aurait dû payer une indemnité de procédure s’il avait succombé dans le cadre d’une procédure civile.

Le 30 mars 2021, la Cour a rejeté le pourvoi en cassation. La Cour a jugé qu’il découle de la combinaison des articles 162bis, al. 2 du Code d’instruction criminelle et  153, § 5 de la Loi Assurances qu’une partie civile qui n’a pas elle-même lancé l’action publique ne peut être condamnée au paiement d’une indemnité de procédure à une partie intervenant volontaire qui a introduit à tort une action civile.

3. Mentions obligatoires dans la notification faite par l’assureur pour exercer un recours contre le preneur d’assurance / l’assuré

3.1. Le fondement sur la base duquel le recours est exercé

L’article 152, al. 2 de la Loi Assurances, qui concerne l’obligation de notification de l’assureur de sa décision d’intenter un recours contre l’assuré / le preneur d’assurance stipule comme suit :

“Sous peine de perdre son droit de recours, l'assureur a l'obligation de notifier au preneur d'assurance, s'il y a lieu, à l'assuré autre que le preneur d'assurance, son intention d'exercer un recours aussitôt qu'il a connaissance des faits justifiant cette décision”.

L’arrêt attaqué rendu en appel a précisé que la notification prévue à l’article 152, al. 2 de la Loi Assurances a pour but de permettre à l’assuré de savoir si l’assureur va exercer un recours contre lui et non pas de savoir sur quelle base ce recours est exercé.

La Cour de cassation a toutefois jugé, aux termes d’un arrêt rendu le 16 avril 2021, qu’il ressort de l’historique de la loi que l’obligation de notification de l’assureur contenue à l’article 152, al. 2 de la Loi Assurances vise à “permettre au preneur d'assurance et à l'assuré de sauvegarder leurs droits en vue d'un éventuel recours par l'assureur en récupération de ses débours au profit de la personne lésée”.

La Cour a jugé que cette notification de l’assureur repose également sur le fondement du recours. Par conséquent, l’assureur sera déchu de son droit de recours s’il l’exerce contre le preneur d’assurance / l’assuré pour un motif autre que celui qu’il a notifié en temps utile au preneur d’assurance / à l’assuré.

Il est donc crucial que les assureurs, lorsqu’ils notifient au preneur d’assurance / à l’assuré leur intention d’exercer un recours, indiquent toujours clairement le fondement sur la base duquel ils exercent ledit recours.

 

3.2 La mention d’un conflit d’intérêts

Le 16 avril 2021, la Cour de cassation s’est prononcée à nouveau sur l’article 152, al. 2 de la Loi Assurances. 

L’arrêt attaqué, rendu par le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles  en appel, a énoncé cette fois qu’un assureur n’avait pas respecté son devoir de notification au titre de l’art. 152, al. 2 de la Loi Assurances, en envoyant à son assuré une lettre dans laquelle il annonçait seulement qu’il allait exercer un recours contre lui. Toutefois, l’arrêt attaqué a jugé que l’assureur aurait également dû notifier à l’assuré l’existence d’un conflit d’intérêts existant entre eux dès ladite notification, et que ce dernier aurait se faire assister par un avocat personnel. En s’abstenant de le mentionner, l’assuré n’aurait pas eu la possibilité d’organiser sa propre défense.

La Cour de cassation a confirmé que l’article 152, al. 2 de la Loi Assurances implique que la notification par l’assureur de son intention d’exercer un recours doit être claire et sans équivoque. Toutefois, selon la Cour, cette disposition n’oblige pas l’assureur à informer la personne concernée de l’existence d’un conflit d’intérêts entre eux dès la notification susmentionnée, ni à la conseiller de se faire assister par un avocat personnel afin d’organiser sa propre défense. La Cour a donc cassé l’arrêt attaqué.

Alors que dans le premier arrêt, la Cour a interprété largement l’obligation de notification de l’article 152, al. 2 de la Loi Assurances, elle a fixé dans le second arrêt une limite claire à cette obligation.

4. Clauses claires et précises

L’article 23 de la Loi Assurances exige que les conditions générales, particulières et spéciales, les contrats d’assurance dans leur ensemble ainsi que toutes les clauses prises séparément soient rédigés en termes clairs et précis. En cas de doute, la clause qui manque de clarté sera interprétée en faveur du preneur d’assurance.

L’arrêt attaqué concernait un véhicule qui était assuré en responsabilité civile et en “multirisques” (assurance omnium). Le véhicule a ensuite été volé et n’a pas été retrouvé.

Les conditions particulières de la police d’assurance contenaient une clause selon laquelle le véhicule devait être équipé d’un certain système antivol si la valeur du véhicule était comprise entre 30.000 EUR et 50.000 EUR. Au moment du vol, le véhicule en question ne disposait pas d’une telle protection.

Une discussion s’est engagée entre l’assureur et l’assuré sur la valeur à prendre en compte pour satisfaire à la clause précitée. L’assuré a décidé qu’il fallait tenir compte de la valeur vénale (sur la base de laquelle la clause ne serait pas applicable). Selon l’assureur, il fallait au contraire tenir compte de la valeur du véhicule indiquée par l’assuré lors de la souscription de la police (sur la base de laquelle la clause serait applicable).

La Cour d’appel a donné raison à l’assureur. Elle a jugé que le fait que l’intitulé de la clause litigieuse ne précisait pas expressément la valeur exacte de la voiture ne pouvait pas fonder une dérogation à la force obligatoire du contrat sous prétexte d’une interprétation du contrat favorable au preneur d’assurance.

La Cour de cassation a toutefois estimé, dans un arrêt du 8 octobre 2021, que l’arrêt attaqué violait l’article 23 de la Loi Assurances. L’arrêt attaqué a rejeté l’interprétation la plus favorable au preneur d’assurance sur la base de la commune intention des parties. Selon la Cour d’appel, l’historique de la police montrait que les deux parties avaient eu l’intention de maintenir l’exigence d’un système antivol spécifique. En effet, au fil des ans, des changements avaient été apportés aux autres conditions de la police, mais cette clause était restée inchangée. La Cour de cassation a manifesté son désaccord : l’article 23 de la Loi Assurances exige que l’interprétation la plus favorable à l’assuré prime sur l’interprétation fondée sur la commune intention des parties. Ainsi, on ne peut écarter l’interprétation la plus favorable à l’assuré sur la base de la commune intention des parties.

Cet arrêt souligne une fois de plus l’importance d’avoir des clauses claires et précises dans la police. Afin d’éviter les doutes, et par conséquent une interprétation en faveur de l’assuré, il est important que la rédaction des clauses soit faite de manière aussi précise que possible.

5. Déclaration par l’assuré des aggravations du risque

L’article 81, § 1er de la Loi Assurances prévoit que le preneur d’assurance est tenu d’informer l’assureur des circonstances nouvelles ou les modifications de circonstances qui sont “de nature à entraîner une aggravation sensible et durable le risque de survenance de l’évènement assuré”. Il résulte de cette disposition légale que le preneur d’assurance doit informer l’assureur de manière spontanée, complète et correcte de ces circonstances et que l’assureur n’est pas tenu de les vérifier.

Les faits du litige concernaient une police d’assurance incendie qui avait été souscrite pour une propriété en tant que résidence privée. Après quelques mois, cependant, le preneur d’assurance a informé son assureur incendie par l’intermédiaire de son courtier d’assurances que le bien assuré avait été réaffecté. Le preneur d’assurance a décrit cette nouvelle utilisation en termes très généraux et vagues comme étant un “café (bar ??) d’after drink” sans mentionner qu’il s’agissait en fait d’un bordel ou d’un club privé avec location de chambres.

Le 21 octobre 2021, la Cour de cassation a jugé qu’en l’espèce, l’assureur n’avait pas d’obligation d’enquête concernant les déclarations de l’assuré sur la destination du bien. La Cour souligne ainsi l’importance de l’obligation qui incombe au preneur d’assurance de faire une déclaration correcte lorsqu’il s’agit d’aggravations du risque assuré.

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