Aller au contenu principal

Fraud Awareness Week

Partager cette page

Le 8 mai 2024, le législateur belge a adopté une nouvelle loi réglementant la recherche privée. 

Cette loi remplace la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé. En effet, la loi actuelle nécessitait une mise à jour, en raison de l'évolution de la législation, telle que la législation en matière de protection des données, et en raison des nouvelles possibilités en matière de recherches privée et de l'évolution des techniques de recherche en général. 

Comme la loi devrait bientôt être publiée au Moniteur belge et entrer ensuite en vigueur, la Semaine internationale de sensibilisation à la fraude (International Fraud Awareness Week) est un bon moment pour résumer et mettre en évidence les principaux sujets abordés dans la loi, et pour se concentrer sur les prochaines étapes que nous vous recommandons de suivre : 

  • La définition de la recherche privée et le champ d'application de la loi sur la recherche privée
  • L'impact sur le déroulement des recherches privées et sur la composition de l'équipe de recherche
  • L’importance du RGPD pour les activités de recherche
  • La valeur probante du rapport d'enquête

Qu'est-ce qu'une recherche privée ?

Les activités de recherche privée telles que définies par la loi sont effectuées par une personne physique sur mission d’un mandant (tel que, par exemple, un employeur) et consistent à collecter des renseignements obtenus par le traitement d’informations relatives à des personnes physiques ou morales ou concernant des faits commis par celles-ci. La recherche a pour but de fournir les renseignements obtenus au mandant afin de préserver les intérêts de celui-ci dans le cadre d'un conflit effectif ou potentiel ou de rechercher des personnes disparues ou des biens perdus ou volés. 

La loi a un large champ d'application : elle ne s'applique pas uniquement aux entreprises exerçant des activités de recherche privée, mais aussi aux services internes de recherche privée au sein des entreprises. Par service interne, on entend tout service qui est organisé par une personne physique ou morale pour des besoins propres, pour l’exercice d’activités de recherche privée de manière structurelle ou qui se fait connaître comme tel. Le terme « structurel » indique que l'activité doit être intégrée dans les tâches d'au moins un travailleur. Un service interne de recherche privée peut être une cellule de fraude d'une compagnie d'assurance ou un service d'enquête interne d'un prestataire de services logistiques. 

Certaines activités sont explicitement exclues de la notion d’activités de recherche privée, telles que les activités professionnelles d'un avocat, d'un notaire, d'un journaliste, etc. et les activités de règlement des sinistre dans le domaine des assurances, pour autant qu’elles soient réalisées sans l’accomplissement d’une enquête en matière de fraude. Un autre exemple intéressant de ce qui n'est pas considéré comme des activités de recherche privée sont les activités menées dans le cadre d'obligations légales, telles que les enquêtes menées par un conseiller en prévention à la suite d'une demande d'intervention psychosociale formelle ou le traitement de plaintes introduites par le biais d'un canal de signalement. 

La question de savoir si une activité donnée relève ou non du champ d'application de cette loi fera probablement l'objet de discussions et d'une jurisprudence (future). Par exemple, nous pourrions nous demander quelle est la portée de l'exception concernant les recherches menées dans le cadre de la procédure de signalement ? En effet, la question qui se pose est celle de savoir si les recherches privées qui résultent d’un signalement par le biais du canal de signalement sont entièrement exclues des règles prévues dans la loi, ou si ces règles s'appliquent à certaines étapes de ces recherches. En outre, dans la pratique, de nombreuses entreprises ont mis en place une politique de signalement dont le champ d'application est large, permettant ainsi aux lanceurs d’alerte de signaler des questions qui ne relèvent pas du champ d'application de la loi sur le signalement. Quel serait alors l'impact du large champ d'application de la politique de signalement sur l'(in)applicabilité de la nouvelle loi à de telles recherches ?

Les départements RH relèvent-ils du champ d'application de la loi réglementant la recherche privée ?

La question de savoir si un service RH qui mène occasionnellement des enquêtes entre dans le champ d'application de la loi est débattue. 

Imaginons, par exemple, qu'une enquête soit menée par un responsable RH afin de considérer un éventuel licenciement pour motif grave d'un travailleur soupçonné de vol. Dans la plupart des cas, seuls des entretiens ainsi que des vérifications de stocks sont menés à cet égard, avec, éventuellement, le visionnage des images de vidéosurveillance. L'enquête est menée par un employé du service RH, auquel cas, il n'y a pas de « service interne » structurel mis en place. 
La loi exclut les services RH qui mènent une « enquête d’incident » concernant l'un de leurs travailleurs de l'obligation de posséder une carte d'identification ou de faire partie d'une entreprise autorisée ou d'un service interne autorisé. La loi stipule aussi explicitement que toutes les autres dispositions de la loi restent applicables.  

La référence aux « enquêtes d’incidents » créée une certaine confusion dans le champ d'application de la loi :

En effet, cette exception spécifique pour les « enquêtes d’incidents » pourrait être interprétée de telle sorte que toutes les recherches en matière de RH tombent principalement dans le champ d'application de la loi, indépendamment du fait que des activités de recherche privée structurelles soient ou non habituellement menées. Si la recherche privée se limite à une enquête d’incidents concernant l'un de ses travailleurs, il n'est pas nécessaire d'obtenir une carte d'identification ou de disposer d’une autorisation, mais la loi s'appliquera dans son ensemble. Cette interprétation suppose donc que les départements RH entrent en principe dans le champ d'application de la loi. 

Une autre interprétation, avancée par les agents de services publics qui ont été étroitement associés à l'élaboration de cette loi, pourrait être que, bien que cela ne ressorte pas clairement du libellé de la loi, les départements RH/enquêtes en matière RH sont exclus du champ d'application de la loi. Ils n'entreraient dans le champ d'application de la loi que s'ils mènent des activités de recherche « structurelles » et sont donc considérés comme des services internes « structurels ». Ainsi, de nombreuses « enquêtes d’incidents » menées occasionnellement par un service RH, n'atteindront probablement pas les conditions requises pour être qualifiées d’activités « structurelles ». 

Un grand changement pour les recherches privées ?

La loi prévoit de nombreuses nouvelles règles pour les activités de recherche privée et aura donc un impact significatif sur le secteur des recherches privées. 

Les formalités nouvelles ou étendues incluent notamment les éléments suivants : une autorisation obligatoire, une carte d'identification, un dossier d'enquête, un registre de mission, un règlement (pour les employeurs), un rapport d'enquête et une obligation de rapporter, etc. 

Toutes les formalités ne s'appliquent pas à toutes les entreprises. Si, par exemple, le service RH d'une entreprise enquête simplement sur un incident concernant l'un de ses employés, il n'est pas nécessaire d'avoir une carte d'identification ou de faire partie d'une entreprise autorisée ou d'un service interne autorisé pour les recherches privées. 

Outre les formalités, la loi crée également un nouveau cadre pour certaines activités de recherches telles que la conduite d’interviews, la consultation de fichiers automatisés non accessibles au public contenant des données à caractère personnel et la réalisation d'observations. Par exemple, certaines informations doivent être communiquées à la personne interrogée avant le début de l’interview, la personne interrogée peut être assistée par une personne de son choix pendant l'interview et un rapport d'entretien, contenant une liste d'informations, doit être rédigé.

Composition de l'équipe de recherche

La loi a créé un profil auquel doivent correspondre certaines personnes impliquées dans des recherches privées, telles que les personnes qui assurent la direction effective d'une entreprise ou d'un service interne, les personnes qui n’assurent pas la direction effective, mais qui siègent au conseil d'administration ou qui exercent un contrôle sur une entreprise, les mandataires (à savoir les personnes physiques qui acceptent une mission au nom de l'entreprise ou du service interne), les enquêteurs privés (à savoir les personnes physiques qui exercent des activités de recherche privée) et les personnes qui ont accès aux (contenu des) rapports des enquêteurs privés ou qui peuvent prendre connaissance des données à caractère personnel de l’intéressé ou de toute autre personne impliquée dans une enquête privée. 

Ce profil requis pourrait avoir une certaine influence sur la composition future d'une équipe de recherche.

Certains exemples des conditions relatives à la personne sont liés à l'âge, à un casier judiciaire vierge (bien qu'il y ait quelques exceptions), à la nationalité, etc. 

Outre ces conditions relatives à la personne, il existe également des exigences en matière d'intégrité. L'intégrité, la loyauté et la discrétion sont des caractéristiques essentielles du profil parfait, de même que le respect des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques. 

De manière plus générale, il est recommandé de réfléchir soigneusement à la composition d'une équipe de recherche. Même si la loi prévoit un délai précis dans lequel une décision doit être prise (par exemple, pour imposer une sanction à un travailleur, en cas de licenciement pour motif grave d'un travailleur ou en cas de résiliation du contrat d'un agent commercial pour cause de circonstance exceptionnelle), il est recommandé de n'informer les personnes compétentes qu'à l'issue de l'enquête, une fois que tous les faits ont été suffisamment identifiés, et de ne pas les impliquer dans l'enquête. Par conséquent, lors de la constitution d'une équipe de recherche, il faut toujours veiller à ne pas impliquer les personnes qui peuvent légalement représenter le mandant et qui sont compétentes pour imposer une sanction, licencier ou mettre fin d'une autre manière à une relation de travail. Ces personnes ne doivent être informées des résultats de l'enquête qu'une fois que celle-ci est terminée. Dans le cas contraire, des questions pourraient se poser par la suite quant au moment (pendant l'enquête) où la personne compétente a acquis des connaissances suffisantes pour prendre une décision. 

Transparence des recherches privées

Comme indiqué ci-dessus, la loi se concentre sur les règles énoncées dans le RGPD et en matière de protection de la vie privée de la personne impliquée et d'autres personnes identifiables. Les règles générales relatives à la protection de la vie privée, en ce compris les principes de légalité, de transparence, d'intérêt légitime et de proportionnalité, s'appliquent donc aux recherches privées, à moins que la loi ne prévoie des règles ou des exceptions spécifiques, restrictives ou supplémentaires. 

Les employeurs qui formulent une demande de recherches privées sur le lieu de travail concernant l'un de leurs travailleurs ne pourront le faire valablement que dans la mesure où une politique concernant les règles relatives à la recherche privée et à l'autorisation d'effectuer une telle recherche est mise en place. Cette nouvelle formalité importante déterminera la validité de toute la recherche puisque cette exigence est prescrite sous peine de nullité. Cette nouvelle règle n'entrera pas en vigueur immédiatement puisqu'une période transitoire est prévue.

Clôture de la recherche privée

Au plus tard un mois après le dernier acte d'enquête, un rapport d'enquête écrit doit être rédigé. Si le mandant décide d'utiliser les informations contenues dans le rapport final, il en informe le mandataire, qui a accepté la mission, au plus tard dans les 30 jours suivant la réception du rapport. Le mandataire doit informer l’intéressé (c'est-à-dire la personne visée par l'enquête) et les autres personnes identifiables, dont les données à caractère personnel ont été traitées, de l'identité et des coordonnées du responsable du traitement des données, de la nature et de l’objectif du traitement, des dates de début et de fin de la recherche privée, ainsi que des droits d’accéder, de compléter, d’améliorer ou d’effacer les données à caractère personnel incorrectes. Le mandant n'est pas autorisé à utiliser ces informations tant que l’intéressé ou les personnes identifiables n'ont pas été informées et n'ont donc pas été en mesure d'exercer leur droit d’accéder, de compléter, d’améliorer ou d’effacer des données personnelles incorrectes. 

Si l’enquêteur privé ou le mandataire reçoit une mission d'enquête concernant des faits qui constituent des infractions ou constitueront clairement des infractions, ou s'il découvre des infractions au cours de sa mission, il est tenu de le signaler par écrit au procureur du Roi et/ou au juge d'instruction. Cette obligation ne s'applique que si les faits sont clairs et si l'enquêteur ou le mandataire savait ou aurait dû savoir que ces faits constituaient des infractions pénales, par exemple le vol ou la violence. Le procureur du Roi ou le juge d'instruction peut ensuite ordonner la suspension ou l'arrêt de la recherche privée.

Valeur probante et importance de la conformité

Si les entreprises ne se conforment pas à la loi, des sanctions administratives pourraient être imposées. D'autres sanctions, telles que les sanctions pénales pour piratage informatique pourraient également être appliquées. 

Par ailleurs, la sanction de la nullité n'est pas à négliger. La sanction de la nullité est en effet prévue dans la loi pour certaines règles et obligations (comme le fait de ne pas avoir de politique en matière de recherches privées en tant qu'employeur). Si des preuves ont été recueillies en violation de ces règles et obligations prescrites sous peine de nullité, toute valeur probante des actes d'enquête concernés est d'emblée exclue. En cas de non-respect d'autres dispositions de la loi, non prescrites à peine de nullité, la jurisprudence Antigone sera applicable : les preuves recueillies peuvent être invoquées devant un tribunal, sauf si la fiabilité des preuves a été affectée par l'illégalité dont sont entachées ces preuves ou si l'utilisation des preuves violerait le droit à un procès équitable de l’intéressé. La loi stipule qu'il appartient aux juridictions auxquelles sont soumises les conclusions d'une recherche privée de statuer sur la valeur probante de ces conclusions.

Dès lors, même pour les départements RH, il est fortement recommandé de tenir compte des règles et des lignes directrices fournies par la loi en tant que bonnes pratiques à appliquer lors de la conduite d'un interview ou de la rédaction d'un rapport d'enquête, etc. En outre, il convient de vérifier si l’entreprise a mis en place toutes les politiques requises pour visionner les images de vidéosurveillance, surveiller les communications faites par e-mail, utiliser un système de suivi sur une voiture de fonction, etc. conformément au RGPD et à d'autres législations. Il n'est en effet pas exclu que les tribunaux se montrent plus sévères et excluent les conclusions des recherches privées qui ne respectent pas ces règles.

Prochaines étapes : comment se préparer ?

Comme indiqué ci-dessus, la loi n'est pas encore entrée en vigueur. Elle devrait être publiée au Moniteur belge et entrer en vigueur dans les semaines à venir. 

Le législateur a tenu compte, dans une certaine mesure, de l'impact significatif de la loi en prévoyant des dispositions transitoires. Par exemple, et sous réserve du respect de certaines conditions, les entreprises ou les services internes effectuant des recherches privées disposeront d'un délai de 6 mois pour demander une autorisation après l'entrée en vigueur de la loi. En l'absence de formation adéquate et de carte d'identification, les travailleurs de ces entreprises ou services internes seront autorisés à exercer leurs activités pendant une période de 18 mois. Les directeurs/employeurs souhaitant effectuer une recherche privée concernant un travailleur disposeront d'une période de deux ans pour rédiger ou adopter leur politique en matière de recherches privées sur le lieu de travail.

Ce n’est pas pour autant qu'aucune préparation ou action ne peut être entreprise dès aujourd'hui en tant qu'organisation. Les incidents de fraude et autres incidents (criminels) étant malheureusement fréquents, les organisations doivent être en mesure de faire face à ces faits dès qu'ils se produisent. 

En préparation de cette nouvelle loi, nous recommandons aux organisations et aux services RH de suivre les lignes directrices suivantes:

  1. Prenez des mesures préparatoires et vérifiez vos politiques de stockage et de conservation des données, ainsi que d'autres politiques relatives au contrôle des images de vidéosurveillance, des communications électroniques en ligne, etc. et assurez-vous que les politiques pertinentes de l'organisation répondent aux exigences réglementaires et permettent de collecter et d'analyser les données susceptibles de faire l'objet de recherches.  
     
  2. Préparez un règlement (en tant qu'employeur/directeur) en matière de recherches privées et de modalités à cet égard, et assurez-vous que ce règlement est cohérente avec les politiques examinées au point précédent. En effet, si une entreprise envisage ou a besoin de mener une recherche privée, qu'elle soit menée par une société externe ou un service interne, un règlement interne en matière de recherches privées est une condition sine qua non pour lancer l'enquête. Les employeurs disposent d'un délai de deux ans pour mettre en œuvre un tel règlement, mais nous recommandons de commencer la préparation d’un tel règlement en temps utile. Nous disposons d'un template qui peut servir d'outil de travail aux organisations pour créer leur propre politique. En outre, la plupart des règles énoncées dans la loi entreront en vigueur à partir du 10ème jour calendrier suivant la publication au Moniteur belge. Cela signifie qu'à partir de ce moment-là, les méthodes d'enquête (telles que les interviews), les rapports d'enquête, etc. devront être conformes à la loi.
     
  3. Réfléchissez à un calendrier précis concernant le timing et la durée de l'enquête, l'accès aux informations pertinentes (documents papier, autres sources d'information, etc.), la rédaction de rapports, etc.
     
  4. Réfléchissez à la composition d'une équipe de recherches appropriée, susceptible de répondre aux exigences liées à la personne et à l'intégrité.
     
  5. Si nécessaire (par exemple, si votre organisation dispose d'un service interne), demandez une autorisation en temps utile.

Auteurs