Aller au contenu principal

La Cour constitutionnelle tranche: majoration de 35% lors d’une retenue incorrecte et versement des dettes sociales aux sous-traitants a un caractère pénal et peut être modéré

Partager cette page

1. Obligation de retenue et versement des dettes sociales

Conformément à l’article 30bis, §7 de loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés (loi ONSS) les donneurs d’ordre et les entrepreneurs doivent contrôler lors de la conclusion d’un contrat si le sous-traitant avec qui ils souhaitent travailler a des dettes sociales. Le donneur d’ordre ou l’entrepreneur est, dans le cas affirmatif, responsable solidaire du paiement de ces dettes sociales, limité au prix total des travaux confiés (excl. TVA). Cette responsabilité solidaire ne s’applique pas au commettant personne physique qui fait exécuter des travaux à des fins strictement privées.

Le contrôle ci-dessus doit même se faire lors de chaque paiement au sous-traitant au cours du contrat. Dans le cas de dettes, le donneur d’ordre ou l’entrepreneur doit retenir et verser à l’Office national de sécurité sociale (ONSS) 35% du paiement à exécuter (excl. TVA), conformément à l’article 30bis, §4 de la loi ONSS. Tout comme pour la responsabilité solidaire, l’obligation de retenue et de versement ne s’applique pas pour le commettant personne physique qui fait exécuter des travaux à des fins strictement privées. 

L’obligation de retenue et de versement mentionnées ci-dessus est limitée au montant des dettes sociales du sous-traitant lors du paiement, à condition que le montant de la facture soit supérieur ou égal à 7.143,00 EUR (excl. TVA). Si le montant de la facture est inférieur, le donneur d’ordre ou l’entrepreneur devra retenir et verser 35% du montant de la facture, indépendamment du montant de la dette sociale.

Si le donneur d’ordre ou l’entrepreneur exécute correctement la retenue et le versement, la responsabilité solidaire mentionnée n’est pas d’application, ni tout autre mesure de réparation. Dans le cas d’une exécution incorrecte, cette responsabilité solidaire s’applique pleinement. De plus, l’article 30bis, §5 de la loi ONSS impose une sanction financière supplémentaire ou majoration de 35% du montant devant encore être payé.

2. Nature de la responsabilité solidaire et majoration de 35% : Time will tell ?

Une diminution de la majoration de 35% mentionnée ci-dessus, est en principe uniquement possible dans certains cas prévus par Arrêté Royal (AR). Conformément à l’article 28 de l’AR du 27 décembre 2007, l’ONSS peut notamment (i) accorder une dispense complète lorsque le sous-traitant ne semble pas être débiteur de cotisations de sécurité sociale, et (ii) accorder une dispense de 50% lorsque le non-paiement est la conséquence de circonstances exceptionnelles. Cette sanction étant qualifiée en principe de sanction civile ou compensatoire (i.e. une sanction qui vise la réparation du préjudice subi par l’ONSS), les raisons d’équité et de caractère raisonnable ne sont pas acceptés comme des motifs de réduction. Ces motifs sont uniquement acceptés dans le cas de sanctions de nature pénale

La nature de la sanction ci-dessus fait également l’objet de discussions entre les Cours suprêmes de Belgique. Nous constatons dans ce contexte non seulement un renversement dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle mais également une divergence complète par rapport à la jurisprudence constante de la Cour de Cassation.

Dans un premier temps, la Cour Constitutionnelle avait estimé dans un arrêt du 25 mai 2016 (Nr. 79/2016) qu’il n’existait pas de possibilité de diminuer les sommes réclamées, dans le cas d’une responsabilité solidaire. En fin de compte, cette sanction aura une nature civile ou compensatoire, de sorte que la diminution ne sera pas contraire à la Constitution.

Néanmoins, la Cour constitutionnelle a changé son fusil d’épaule concernant la majoration de 35%. Dans son arrêt du 9 juillet 2020 (Nr. 104/2020), la Cour constitutionnelle a déterminé un motif supplémentaire pour la diminution de celle-ci. La Cour constitutionnelle estime en particulier que la majoration de 35%, en raison de son « caractère répressif prédominant », peut être qualifiée de sanction pénale au sens de l’article 6, al. 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Par conséquent, en plus des motifs de réduction prévus par AR, un certain nombre de garanties de droit pénal s’y ajoutent, dont le principe du caractère raisonnable, qui exige du juge de mettre en balance tous les intérêts lorsqu’il prend une décision. Par cela, il est possible entre autres, et contre les dispositions légales, de réduire la sanction légale en prenant en compte tous les éléments de la présente affaire (par exemple la bonne foi). 

Cette interprétation changeante de la Cour constitutionnelle va de plus à l’encontre de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation. Cette jurisprudence constante établit en effet que la majoration de 35% ne concerne pas une sanction pénale, mais bien une sanction civile pour compenser le préjudice subi par l’ONSS. 

La question restée en suspens est quelle interprétation la jurisprudence et la doctrine belge vont suivre. Time will tell, quelle juridiction prendra le dessus sur cette discussion… Dans tous les cas, nous continuerons à suivre cette controverse et nous vous informerons dès qu’il y aura des nouvelles évolutions.