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Jurisprudence récente de la Cour de cassation belge sur les clauses de déchéance de garantie

Les assureurs recourent généralement à divers types de formulations et de techniques pour décrire l’étendue de la couverture. Nous pouvons ainsi distinguer les descriptions positives de la couverture (« le présent contrat couvre les dommages ou la perte de la voiture X et de son contenu, tous risques confondus »), des descriptions négatives (« sauf les pertes relatives à des bijoux laissés dans le véhicule »), ainsi que des clauses de déchéance de garantie (« sauf si la perte est causée par le fait que l’assuré a laissé le véhicule sans surveillance et non verrouillé »).

Les clauses de déchéance de garantie sanctionnent le comportement risqué de l’assuré en permettant à l’assureur de refuser son intervention pour les sinistres qui en résultent. Elles sont fréquemment invoquées par les assureurs et vivement contestées par les assurés, ce qui en fait l’une des principales sources de litiges en matière d’assurances.

Pour la plupart des contrats d'assurance soumis au droit belge, les clauses de déchéance doivent respecter l’article 65 de la Loi relative aux assurances. Cette disposition vise à protéger l’assuré en imposant les règles suivantes :

  • La clause de déchéance n’est valable que si elle vise une « obligation déterminée imposée par le contrat ». Inversement, les clauses de déchéance formulées en termes généraux, telles que la perte de couverture en cas de « comportement négligent », sont nulles, même si elles se limitent à la faute grave.
  • La clause ne peut être invoquée que si l’assureur prouve le lien de causalité entre la survenance du sinistre et l’inexécution de l’obligation.

Cependant, la loi ne tranche pas explicitement toutes les questions relatives aux clauses de déchéance, ce qui explique les nombreuses interventions de la Cour de cassation belge. Deux arrêts récents en apportent une illustration.

Cass. 10 mars 2025, RG C.24.0343.F, ECLI:BE:CASS:2025: ARR.20250310.3F.2

L'arrêt du 10 mars 2025 portait sur l’articulation entre l’article 65 de la Loi relative aux assurances (dans son exigence de spécificité) et l'article 62, deuxième alinéa de la même loi, qui dispose : 

  • « L'assureur répond des sinistres causés par la faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire. Toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat. » 

L'affaire concernait le vol d'un véhicule laissé non verrouillé dans l'allée d'une maison - les clés posées sur le siège du conducteur. La conductrice était brièvement rentrée chercher sa fille à l'intérieur pour se rendre à un rendez-vous. À son retour, le véhicule avait disparu. Le contrat d'assurance prévoyait une clause de déchéance en cas de « vol lorsqu’on ne prend pas les précautions indispensables (p.e. portières ou coffre non verrouillés, [...], clé(s) [...] dans le véhicule » L'assureur avait invoqué avec succès cette clause de déchéance devant les juridictions de fond. 

Devant la Cour de cassation, l'assuré a fait valoir qu'une lecture combinée de l'article 65 et de l'article 62, deuxième alinéa, de la Loi relative aux assurances permettait de conclure que seules les clauses de déchéance pour faute lourde étaient autorisées en droit belge.

La Cour de cassation belge a rejeté cet argument en termes clairs, déclarant que : 

  • « Il ne suit pas de ces dispositions que les hypothèses de déchéance visées à l’article 65, alinéa 1er, [...] ne seraient admissibles que dans des cas de faute lourde commise par le preneur au sens de l’article 62, alinéa 2 ».

L'arrêt susmentionné confirme donc que les clauses de déchéance restent autorisées pour les cas de négligence simple, pour autant qu’elles soient formulées de manière suffisamment spécifique et que l’assureur prouve le lien de causalité entre la violation de l'obligation spécifiée et le sinistre. Cette décision sera bien accueillie par les assureurs, qui auraient autrement vu une grande partie de leurs clauses de déchéance invalidées.
 

Cass. 12 mai 2025, RG C.24.0398.F, ECLI:BE:CASS:2025: ARR.20250512.3F.3

L'arrêt du 12 mai 2025 confirme à nouveau la position de la Cour de cassation selon laquelle un assureur ne peut valablement invoquer une clause de déchéance pour faute lourde qu'à l'encontre d'un assuré qui a personnellement commis le manquement. En d'autres termes, la violation par un assuré A d'une obligation sanctionnée par une clause de déchéance pour faute lourde, ayant entraîné un dommage subi par un autre assuré B, ne permet pas à l'assureur de refuser sa garantie à l'égard de l’assuré B. Ce raisonnement peut s’avérer particulièrement important, notamment dans le cadre de litiges relatifs à des assurances « tous risques chantiers », qui couvrent généralement de nombreux assurés au sein d’un même contrat. 

L’affaire concernait l’assurance (omnium) d’un véhicule qu'une société de leasing avait louée à une société. Celle-ci avait souscrit une assurance couvrant les dégâts matériels auprès de l’assureur. Le contrat d’assurance reconnaissait deux assurés : la société même et une autre personne, vraisemblablement son dirigeant et propriétaire / l’actionnaire principal. Ce dernier a provoqué un accident alors qu’il conduisait en état d’ivresse, entraînant la perte totale du véhicule. Lorsque la société, qui devait rembourser la société de leasing, a demandé l’intervention de l’assureur, celui-ci l’a refusée, invoquant une clause de déchéance pour faute lourde, qui excluait notamment les dommages « qui résultent d'une faute lourde de l'assuré, par exemple lorsque le conducteur qui a causé l'accident est en état d'intoxication alcoolique de plus de 0,8 gramme par litre de sang ou en état d'ivresse ». 

Le tribunal de première instance a appliqué cette disposition, notant que l'assureur avait prouvé avec un degré de certitude suffisant que le conducteur était ivre au moment de l'incident. La Cour de cassation a cassé cette décision, soulignant que le tribunal n'avait pas constaté (sur le plan factuel) qu'une faute lourde avait été commise par l'assuré qui réclamait la couverture (c'est-à-dire la société au lieu du conducteur). Dans ces circonstances, le tribunal de première instance ne pouvait valablement (d'un point de vue juridique) conclure à l’application de la clause de déchéance. Selon la Cour de cassation, la juridiction de fond n’a pas suffisamment justifié le rejet de la demande de l’assuré.

Cet arrêt apportera un soulagement aux nombreuses entreprises belges qui offrent des voitures de société à leurs employés dans le cadre d'un contrat de leasing. En revanche, pour les assureurs, il est important de noter qu’ils restent tenus d’indemniser l’employeur-preneur d’assurance en cas de sinistre causé par un comportement fautif (qualifié de faute lourde) d’un employé. Même dans des situations où les assurés sont étroitement liés (par exemple une société et son (seul) actionnaire/dirigeant), l’assureur devra démontrer, et le juge devra constater, que l’assuré qui sollicite la couverture (la société) a personnellement commis une faute lourde.
 

Conclusion

La Loi belge relative aux assurances est globalement protectrice à l’égard des preneurs d’assurance et des assurés. Cette protection est souvent renforcée par une jurisprudence qui n'est pas toujours favorable aux assureurs. Ceci est illustré, entre autres, par la jurisprudence de la Cour de cassation belge en matière de clauses de déchéance. La Cour de cassation rappelle régulièrement l’exigence de spécificité de ces clauses, ainsi que le caractère personnel de leur application. Toutefois, même dans ce cadre général, il existe des limites. La Cour de cassation ne va pas jusqu'à estomper totalement la distinction entre l'article 62, alinéa 2, de la Loi relative aux assurances (portant sur la faute lourde) d'une part et l'article 65 (portant sur les clauses de déchéance) d'autre part. Les clauses de déchéance relatives à des cas de négligence simple restent possibles, pour autant qu'elles satisfassent au test de spécificité dans le libellé de la police. 

N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez obtenir davantage d’informations à ce sujet.
 

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