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Jurisprudence recente de la Cour de Cassation concernant la loi relative aux assurances de 2014 : aperçu annuel

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Chaque année, l'équipe de droit des assurances de Lydian revient sur quelques arrêts intéressants de la Cour de Cassation au cours de l'année écoulée et portant sur la loi de 2014 relative aux assurances (LA). En 2023, la Cour s'est également penchée sur plusieurs sujets intéressants en matière d'assurance.

1.    Distinction entre l'assurance de biens et l'assurance de responsabilité

Le 24 janvier 2023, la Cour de Cassation s'est prononcée sur une prétendue violation de l'article 141 LA qui définit l’"assurance responsabilité civile".

Une société de leasing et une société de transport avaient conclu un contrat de location d'un véhicule comportant un volet "assurance tous risques". En effet, le contrat contenait un article "Provisions pour dommages" qui prévoyait que l'assureur prendrait en charge la couverture de dommage ou de perte du véhicule loué et le règlement des sinistres dans des cas bien définis.

L’arrêt en appel du tribunal correctionnel du Limbourg, division de Tongres, a qualifié la clause d'"assurance multirisque" d'assurance responsabilité civile. 

La société de leasing toutefois fait valoir que cette qualification était contraire à l'article 141 LA dès lors qu’elle considérait que l'assurance multirisque ou l'auto-assurance était nécessairement une assurance de biens et non une assurance de responsabilité.

La Cour de Cassation a jugé que l'assurance de biens est définie comme une police d'assurance non-vie visant à préserver un bien spécifique sur lequel l'assuré a un intérêt. Il s'ensuit que l'auto-assurance est une assurance de biens et non une assurance de responsabilité.

Les juges d'appel, selon la Cour de Cassation, ont donc considéré à tort que la clause « Provisions propre dommage" prévue par la police d’assurance était une assurance responsabilité civile. 

La qualification de contrat d'assurance de biens ou de contrat d'assurance de responsabilité affecte les dispositions légales applicables à ce contrat d'assurance.

 

2.    Déchéance du droit aux prestations d'assurance et du droit propre de la personne lésée

Une camionnette de marque Toyota et une voiture de marque BMW ont été impliquées dans un accident de la route. Le conducteur de la Toyota et un passager de la BMW sont malheureusement décédés.

Au moment de l'accident, la BMW circulait avec, à l'avant du véhicule, une copie de plaque d’immatriculation d’essai et, à l’arrière, une copie d'une plaque de concessionnaire. La BMW appartenait à un garagiste qui était assuré par le demandeur en Cassation pour la plaque d'essai.

L'assureur de la camionnette Toyota a introduit une demande de dommages-intérêts contre l'assureur de la BMW. Tant le premier juge que la cour d'appel ont fait droit à cette demande.

L'assureur de la plaque d'essai de la camionnette Toyota a introduit un pourvoi en cassation contre l'arrêt attaqué. Il a fait valoir que les juges d’appel avaient commis une erreur en estimant que l'apposition d'une copie de la plaque d'immatriculation constituait une augmentation du risque qui ne pouvait être imputée à la personne lésée. Selon l'assureur, il s'agissait d’une situation de non-assurance qui pouvait bien être opposée aux tiers lésés.

En ce qui concerne l'assurance responsabilité légale, l'article 151, § 1, alinéa 1 de la LA stipule que les exceptions, franchises, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat, et trouvant leur cause dans un fait antérieur ou postérieur au sinistre, sont inopposables à la personne lésée. Sont toutefois opposables à la personne lésée l'annulation, la résiliation, l'expiration ou la suspension du contrat, intervenues avant la survenance du sinistre. Cet article de loi fait donc bénéficier la personne lésée d'une grande protection puisque l'assureur ne pourra lui opposer qu'un nombre limité de moyens de défense.

Parmi les exemples d'assurance responsabilité obligatoire, on peut citer l'assurance obligatoire RC auto, l'assurance responsabilité professionnelle pour les architectes et l'assurance responsabilité contre l'incendie pour les établissements accessibles au public.

Les moyens de défense qui peuvent être opposés à la personne lésée en cas d'assurance responsabilité civile obligatoire peuvent être divisés en deux groupes. Il s'agit, premièrement, des moyens de défense liés à l'absence d'assurance. Deuxièmement, il s'agit des moyens de défense liés à l'absence ou à l'insuffisance de la couverture.

Comme mentionné ci-dessus, il a été jugé en appel que l'utilisation d'une copie d'une plaque d'essai constitue une augmentation du risque qui n'est pas opposable aux tiers lésés. En effet, le nombre de véhicules assurés ne peut être connu si des copies sont utilisées pour plusieurs véhicules.

L'assureur de la camionnette Toyota estimait quant à lui que cette situation constituait un cas de non-assurance, qui peut être opposable aux tiers lésés. Cette interprétation accorderait donc une protection moins large aux tiers lésés.

Dans son arrêt du 9 février 2023, la Cour a estimé que cette question portait sur l'interprétation des dispositions communes à l'Accord Benelux du 24 mai 1966 et qu'elle était donc contrainte de poser une question préjudicielle à la Cour Benelux afin d'éviter des jurisprudences divergentes.

L'avocat général de la Cour de cassation indique toutefois déjà dans ses conclusions que l'arrêt attaqué lui semble correct et que le cas d’espèce pouvait effectivement être qualifié de moyen de défense non-opposable à la personne lésée. Il estime en effet que l'intention du législateur était de protéger le plus efficacement possible les tiers lésés.

Bien qu'il n'y ait donc pas encore d'arrêt définitif dans cette procédure, cet arrêt est intéressant à plus d'un titre. D'une part, cet arrêt montre que des litiges et des ambiguïtés subsistent quant à l'opposabilité des défenses. En outre, il est très important de rappeler qu'en cas de non-assurance, l'assurance n'existe tout simplement pas et l'assureur ne peut pas être obligé de fournir une couverture. C'est donc à la partie lésée qu'il incombe de prouver l'existence de l'assurance.

 

3.    Délai pour la notification obligatoire de recouvrement par l'assureur responsabilité civile

L'assureur doit notifier au preneur d'assurance/assuré son intention d’introduire un recours contre le preneur d’assurance dès qu'il a connaissance des faits sur lesquels sa décision est fondée (art. 152 (2) LA). 

Dans un arrêt du 17 mars 2023, la Cour de Cassation a précisé que cette obligation de notification de la part de l'assureur naît au moment où il a connaissance des circonstances précises de l'accident sur la base desquelles il peut juger si l'assuré a causé le dommage et s'il y a lieu d'en demander réparation. 

En appel, il a été jugé que la compagnie d'assurance, qui a appris l'identité du conducteur principal du véhicule le 27 septembre 2017 et n'a envoyé l'avis que trois mois et demi plus tard, a notifié en temps utile son intention d’introduire un recours.

Dans l'appréciation de l'opportunité d'une notification par les juridictions d'appel, la Cour de Cassation a pu constater dans le présent arrêt que, d'une part, le temps nécessaire au traitement administratif dans une compagnie d'assurance devait être pris en compte et que, d'autre part, les intérêts du preneur d'assurance n'ont pas été violés par une notification effectuée 3,5 mois plus tard. 

En conséquence, le pourvoi en cassation a été rejeté.

 

4.    La notion de "sinistre" dans le cadre d'une police d'assurance responsabilité civile

L'assuré doit déclarer le sinistre à l'assureur dès que possible et, en tout état de cause, dans le délai prévu par la police d’assurance (article 74, § 1 LA). 

Dans son arrêt du 21 avril 2023, la Cour de Cassation interprète la notion de "sinistre" en précisant qu’il est nécessaire que l’assuré ait su ou ait raisonnablement pu savoir qu’il pouvait être tenu responsable des dommages qu'il cause à la personne lésée. Par conséquent, il n'est pas nécessaire que l'assuré ait déjà été poursuivi par la personne lésée. Une certaine proactivité est donc attendue de la part de l’assuré.

 

5.    Droit de recours de l'assureur responsabilité civile

Dans le cas d’espèce, le défendeur avait provoqué un accident le 20 janvier 2016 en déviant de la chaussée et en entrant en collision avec la devanture d'un magasin. Le demandeur, l'assureur du défendeur, a informé ce dernier par écrit le 11 février 2016 de son intention d'intenter un recours en raison de sa consommation d'alcool au volant. 

La question juridique au cœur de ce litige était de savoir à quel moment l'assureur est tenu de donner avis de son intention de recours à l’encontre du preneur d’assurance. 

L'assureur doit notifier son intention d'exercer un recours dès qu'il a connaissance des faits sur lesquels cette décision est fondée (art.152(2) LA). La notification doit non seulement être faite dans les délais prévus, mais aussi indiquer clairement le motif du recours. La Cour de Cassation a estimé que l'avis doit être donné dès que l'assureur a connaissance des circonstances précises de l'accident.

La cour d'appel avait déclaré le droit de recours nul parce que la notification était prématurée : au moment de la notification, l'assureur ne disposait pas des faits sur la base desquels il entendait exercer le recours. La cour d'appel avait constaté que la notification avait été faite par l'assureur au moyen d'une lettre type avec une justification classique et générale, sans qu'il soit aucunement démontré qu'il avait à ce moment-là pris connaissance des faits concrets pouvant étayer son intention d'exercer un recours.

L'assureur a contesté la nécessité d'énoncer des faits précis dans la notification et a fait valoir que la cour d'appel avait eu tort d'imposer des exigences quant au contenu et au moment de la notification.

La Cour de Cassation, dans son arrêt du 5 mai 2023, a estimé qu'il résulte de l'article 152, paragraphe 2, de la LA que l'assureur doit notifier au preneur d'assurance et à l'assuré le motif pour lequel il a l'intention de demander réparation. En conséquence, la Cour a estimé que, compte tenu des constatations de fait figurant dans l'arrêt attaqué, c'est à juste titre que la juridiction d'appel a jugé que la notification de l'assureur ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 152, paragraphe 2, de la loi sur les assurances.

Cet arrêt souligne l'importance d'une notification dûment motivée, avec référence à des détails concrets, plutôt qu'une référence générale à un motif de recours possible. Si une telle définition précise du motif de recours n'est pas immédiatement possible, l'assureur doit alors attendre de disposer de toutes les informations nécessaires avant d'émettre une notification au sens de l'article 152, paragraphe 2, de la loi sur son droit de recours.

 

6.    Assurance responsabilité civile, intervention dans une procédure judiciaire - Recours de la partie intervenante (procédure pénale)

Les faits à l'origine de l'arrêt de la Cour de Cassation du 23 mai 2023 concernent un accident de la route. L'assuré du requérant a été convoqué devant le tribunal de police à la suite d'un accident survenu le 10 septembre 2019.

Lors de l'audience du 26 octobre 2020, l'assureur a pu bénéficier d’une intervention volontaire à la procédure, actée dans le procès-verbal de l'audience du 29 mars 2021. Suite à cette audience, l'affaire a été mise en délibéré, le demandeur ayant valablement été inscrit en tant qu'intervenant volontaire.

Le jugement du tribunal de police a condamné l'assuré à indemniser les dommages de la première partie défenderesse. Selon ce jugement, la plaignante ne s'est pas constituée partie civile et aucune réclamation n'a été formulée à son encontre.

La plaignante a alors interjeté appel du jugement du tribunal de police en tant qu'intervenante volontaire. Le formulaire de réclamation de la plaignante indiquait que les griefs portaient uniquement sur l'action civile et que, selon la plaignante, son assuré n'avait commis aucune faute mais qu'il y avait, au contraire, une faute inhérente à la première partie défenderesse.

Toutefois, la cour d'appel a estimé que la plaignante n'avait aucun intérêt à faire appel de ce jugement car elle n'avait pas introduit de demande en première instance et qu'il n'y avait pas de litige en cours entre la plaignante et les autres parties en première instance puisqu'aucune demande n'avait été introduite contre la plaignante et qu'aucune demande n'avait été introduite.

La question à laquelle la Cour de cassation devait répondre le 23 mai 2023 était donc de savoir si l’assureur ayant fait intervention volontaire avait l'intérêt nécessaire pour interjeter appel du jugement du tribunal de police, bien qu'elle n'ait pas elle-même déposé de plainte et qu'aucune plainte n'ait été déposée contre elle.

L'assureur responsabilité civile peut intervenir volontairement dans une procédure engagée par la personne lésée contre l'assuré (art. 153, § 2, alinéa 1 LA). Il en va de même lorsque l'action est intentée contre l'assuré devant le tribunal correctionnel ou de police (art. 153, § 5 LA).

La Cour de Cassation a donc décidé que l'assureur responsabilité civile peut faire appel d'une décision préjudiciable à ses intérêts.

Un tel intérêt est présent lorsque le recours est dirigé contre la condamnation par le premier juge de l'assuré de l'assureur à indemniser le préjudice de la personne lésée. Il n'est pas nécessaire ici que la personne lésée ait intenté une action contre l'assureur, ni que l'assureur ait pris une réclamation.

Le pourvoi en cassation était donc bien fondé.

 

7.    Interruption du délai de prescription

Sous réserve de dispositions légales particulières, l’action résultant droit propre de la personne lésée contre l'assureur se prescrit par cinq ans, à compter du fait générateur du dommage ou, ou, s'il y a infraction pénale à compter du jour où celle-ci a été commise (art. 88, § 2, alinéa 1 LA).

Ce délai de prescription est interrompu dès que l'assureur est informé de la volonté de la personne lésée d'obtenir l'indemnisation de son préjudice (art. 89 §5 LA). Selon la Cour de Cassation, le contexte législatif démontre que l'interruption prend fin lorsque l'assureur notifie par écrit à la personne lésée sa décision d'indemniser ou son refus. 

Dans son arrêt du 21 mai 2023, la Cour suprême a jugé que la notification par l'assureur de sa décision d'indemniser ou de refuser la couverture, pour qu'elle mette fin à l'interruption, doit être claire et non équivoque. La personne lésée doit pouvoir raisonnablement déduire de cette notification que l'assureur a définitivement mis fin aux négociations par cette notification.

 

8.    Subrogation et interruption du délai de prescription

L'assureur maladie et accident de la personne lésée a introduit un recours subrogatoire contre les assureurs des parties responsables sur la base de l'article 136 §2, alinéa 4 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994. Ces derniers ont fait valoir que la créance était déjà prescrite.

L'assureur maladie et accident a fait valoir que le droit direct de la personne lésée avait été interrompu par la procédure antérieure, puis à nouveau interrompu en vertu de l'article 35, paragraphe 4, de la loi de 1992 sur les contrats d'assurance terrestre (LCAT), à savoir depuis le moment où elle a informé les assureurs de sa volonté d'obtenir une indemnisation jusqu'à la décision de refus de ces derniers.

En appel, le raisonnement précédent a été rejeté parce que le subrogé lui-même n'est pas une partie lésée au sens de la LCAT et parce que la partie lésée n'a jamais intenté l'action directe contre les assureurs prévue à l'article 86 de la LCAT. 

Toutefois, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 22 septembre 2023, a estimé qu'il résulte de l'article 35, paragraphe 4, de la LCAT que lorsque l'assureur est informé de la volonté d'indemnisation du subrogé, le délai de prescription de la créance du subrogé à l'encontre de l'assureur est interrompu jusqu'à ce que l'assureur lui notifie par écrit sa décision d'indemniser ou son refus d'indemniser.

 

9.    Couverture dans le temps de l'assurance responsabilité civile

Selon l'article 141 LA, l'article 142 LA s'applique aux contrats d'assurance qui qui ont pour objet de garantir l'assuré contre toute demande en réparation fondée sur la survenance du dommage prévu au contrat, et de tenir, dans les limites de la garantie, son patrimoine indemne de toute dette résultant d'une responsabilité établie.

La garantie d'assurance porte sur le dommage survenu pendant la durée du contrat et s'étend aux réclamations formulées après la fin de ce contrat (art. 142(1) LA).

Dans le cas d’espèce, le chien des parties lésées avait mordu les voisins, et ces réclamaient un dédommagement suite à cet incident. Les parties lésées ont écrit à leur assureur qui a refusé de les couvrir. Apparemment, le courtier d'assurance n'avait pas souscrit d'assurance pour eux malgré leur demande expresse en ce sens. Le courtier a donc été jugé responsable et l'action directe contre son assureur en responsabilité professionnelle a été confirmée dans l'arrêt attaqué. 

Ce dernier s'est pourvu en cassation car il estimait que l'arrêt attaqué avait mal interprété la notion de "dommage" au sens de l'article 142 LA. L'assureur soutenait que le moment du sinistre ne devait pas être placé au moment du refus de couverture mais au moment de l'erreur du courtier (survenue avant la souscription de la police).

Dans son arrêt du 29 septembre 2023, la Cour de Cassation a rejeté le recours et a jugé qu'il résultait des articles 141 et 142 LA que le dommage au sens de l'article 142 LA est le dommage stipulé dans le contrat et causé à la personne lésée par la faute de l'assuré. 

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