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L’impact des mesures gouvernementales pendant la pandémie de coronavirus sur les contrats de bail en cours à lumière de l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 mai 2023

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Dans un arrêt du 26 mai 2023, la Cour de Cassation a répondu pour la première fois à la question de savoir si les mesures gouvernementales de confinement donnaient le droit au preneur, sur pied de l’article 1722 de l’ancien Code civil, soit à une réduction du prix, soit à la résiliation du contrat de bail. La Cour décide que le preneur est temporairement libéré de ses obligations par application de la théorie des risques. Nous examinons ci-dessous l’impact de l’arrêt précité.

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La portée de l’article 1722 de l’ancien Code civil selon la Cour de Cassation

L’article 1722 de l’ancien Code civil constitue une application de la force majeure et de la théorie des risques de droit commun. Cet article détermine notamment qui – du preneur ou du bailleur – supporte le risque de destruction du bien loué par suite d’un cas fortuit.

Cet article dispose en particulier qu’en cas de destruction totale ou partielle du bien loué par cas fortuit, le preneur peut solliciter soit une réduction du prix (destruction partielle), soit la résiliation du bail (destruction partielle ou totale) [1], le tout sans autre forme de dédommagement.

En l’absence de faute imputable à l’une des parties, la perte de la chose louée est, donc, supportée par le bailleur.

Bien que, lors de son adoption, l’article 1722 de l’ancien Code civil ne visait que les cas de destruction matérielle, la Cour de Cassation a déjà élargi ce dernier aux cas de perte juridique dans sa jurisprudence antérieure [2]

Analyse de l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 mai 2023

Dans son arrêt du 26 mai 2023, la Cour de Cassation se voit confrontée pour la première fois à la question de l’application ou non de l’article 1722 de l’ancien Code civil dans le cas d’une fermeture obligatoire en raison des mesures gouvernementales adoptées pendant la pandémie de coronavirus (un cas d’application de la perte juridique).

Selon la Cour, l’article 1722 suppose que l’atteinte à la jouissance des lieux loués découle d’une impossibilité définitive ou temporaire pour le bailleur d’assurer au preneur la jouissance promise dans le contrat de bail en raison d’un cas fortuit[3]

Pareil cas de force majeure est rencontré quand l’accès du public aux lieux loués n’est plus, totalement ou partiellement, possible en raison des mesures gouvernementales prises durant la pandémie de coronavirus.

En raison de ce cas fortuit, l’exécution des obligations qui découle du contrat synallagmatique de bail est, selon la Cour, suspendue lorsque le cas fortuit est seulement temporaire et que le contrat après la période convenue peut être utilement exécuté.

Sur base de ces développements juridiques, la Cour a cassé l’arrêt a quo. Elle a estimé que la Cour d’appel avait exclu à tort l’application de l’article 1722, lorsqu’elle a jugé que « [er] enkel sprake was van een tijdelijke onmogelijkheid en dus een tijdelijk verlis van genot » (traduction libre : « il était uniquement question d’une impossibilité temporaire et donc d’une perte de jouissance temporaire »).

La Cour de Cassation considère que les mesures gouvernementales prises pendant la pandémie de coronavirus, et plus particulièrement la fermeture obligatoire des lieux loués, constituent un cas de force majeure dans le chef du bailleur, l'empêchant de remplir son obligation d'assurer la jouissance du bien loué.

L'incapacité du bailleur à assurer la jouissance du bien loué est assimilée par la Cour dans cet arrêt à une perte juridique temporaire du bien loué. En application de l'article 1722 de l'ancien Code civil, on peut donc conclure que le risque des mesures corona est supporté par le bailleur.

Limitation de la portée de cet arrêt

Cet arrêt de la Cour de Cassation pourrait donc bien avoir un impact considérable en pratique.

On notera, toutefois, que cet arrêt connaît également plusieurs limitations importantes :

  • La réticence de certains juges de paix à assimiler une perte juridique à la destruction matérielle, comme prévu à l’article 1722 de l’ancien Code civil, a donné lieu en pratique à une jurisprudence peu unifiée ;
     
  • La question de la force majeure et de la théorie des risques n’était pas réglée dans le contrat considéré. Ceci explique donc l’application de l’article 1722 de l’ancien Code civil, qui est supplétif. A contrario, si lors de la rédaction du contrat de bail, la question de la force majeure est réglée, en excluant par exemple l’application de l‘article 1722 ou en prévoyant une définition restrictive de la force majeure, c’est bien la volonté des parties qui primera ;
     
  • L’arrêt du 26 mai 2023 précité, dans sa brièveté, laisse plusieurs questions ouvertes comme : (i) l’impact des mesures gouvernementales sur la destination convenue du bien, (ii) la différence entre les deux confinements et le type de commerce, (iii) la situation dans laquelle le bailleur pourrait continuer à assurer partiellement la jouissance des lieux loués, par exemple, en organisant un take-away, etc.

Une bonne rédaction des contrats de bail est donc essentielle :

  • Dans la mesure où l’article 1722 de l’ancien Code civil est supplétif, cette disposition peut être expressément écartée ou précisée par les parties. Ainsi, rien n’empêche les parties d’écarter l’application de cette disposition soit dans tous les cas, soit dans les cas de perte juridique uniquement ;
     
  • En parallèle, l’application de l’article 5.74 du Code civil, en particulier l'application de la théorie de l'imprévision (un changement imprévu de circonstances qui pèse excessivement sur l'exécution du contrat entraîne la possibilité d'une renégociation), peut également être écartée ou précisée entre parties ;
     
  • Enfin, on aura égard au mécanisme de la réduction du prix, prévu à l’article 5.97 du Code civil, considéré comme une sanction en cas d’inexécution minime (par exemple, pour une courte période d’indisponibilité des lieux imputable à l’une des parties).

Nous ne manquerons de suivre tout nouveau développement à ce sujet et de vous en tenir informés.

 


[1] Dans le cas d’une destruction totale, la résiliation s’opère de plein droit.

[2] Cass. 17 avril 1980, Arr. Cass. 1979-80, 1038.

[3] La Cour de cassation utilise la notion de « cas fortuit » pour celle de « circonstance imprévue».

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