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Accès des PME aux marchés publics: que change la loi du 22 décembre 2023?

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Le 8 janvier 2024, la loi du 22 décembre 2023 modifiant la réglementation relative aux marchés publics en vue de promouvoir l'accès des PME auxdits marchés a été publiée au Moniteur belge. 

Ces PME représentent la grande majorité des entreprises en Belgique. Les travaux parlementaires de la loi modificative mentionnent même 99,8 %. Cependant, des rapports récents montrent qu'elles ne se voient attribuer que moins de la moitié de la valeur totale des marchés publics attribués dans l'Union européenne. Plus encore, depuis 2017, la participation des PME aux marchés publics a diminué.

La récente loi modificative entend remédier à cette situation. Ainsi, le législateur prend un certain nombre de mesures concernant (1) l'introduction d'un certain nombre de modifications dans les règles d'octroi d'avances, obligeant même certains adjudicateurs à octroyer des avances, (2) l'octroi obligatoire d’indemnités de soumission dans certaines circonstances et (3) l'obligation pour les adjudicateurs de communiquer la position du soumissionnaire dans le classement provisoire dans certains cas. Ces différentes mesures entreront en vigueur en plusieurs phases.

1 INTRODUCTION DE L’OBLIGATION D’OCTROYER DES AVANCES POUR CERTAINS ADJUDICATEURS

(a)    Réglementation antérieure

Dans le cadre des marchés publics, la règle générale à ce jour est que les adjudicateurs ne paient que pour les services fournis et acceptés. Ce n'est que dans des cas exceptionnels, lorsqu'il s'agit principalement d'investissements très importants à réaliser, que l'adjudicateur peut prévoir l'octroi d'avances (article 67 AR Exécution).

Cependant, dès la crise de Corona, le législateur a réalisé que les avances pouvaient s'avérer être un outil utile pour faciliter l'accès aux marchés publics. Au lendemain de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques contre la Russie, de nombreuses entreprises ont connu des problèmes de liquidités. C'est pourquoi l'AR du 29 novembre 2022 a créé la possibilité pour les adjudicateurs de travailler avec des avances afin de soutenir les adjudicataires sur le plan économique. Pour ce faire, l'adjudicateur pouvait inclure une clause dans les documents du marché. Toutefois, l'AR du 29 novembre 2022 a cessé de s'appliquer le 31 décembre 2023, ce qui signifie que le régime d'avances initial, plus strict, s'appliquait à nouveau.

(b)    Nouvelle réglementation

Par la loi du 22 décembre 2023, le législateur généralise en fait le régime temporaire de l'AR du 29 novembre 2022. Conformément à cet ancien AR, l'article 12/1 de la loi sur les marchés publics stipule désormais que les adjudicateurs ont la possibilité d'accorder des avances dans les documents du marché. La règle générale selon laquelle les adjudicateurs ne paient que pour les services fournis et acceptés demeure donc, mais les adjudicateurs peuvent s'en écarter dans les documents du marché.

Toutefois, le législateur est allé plus loin que le régime temporaire antérieur en imposant à certains adjudicateurs de travailler avec des avances. Ainsi, le gouvernement fédéral, les régions, les communautés, les pouvoirs locaux et les autres adjudicateurs dont les travaux sont principalement financés par l'une de ces autorités et dont la gestion est soumise à leur contrôle seront obligés de verser une avance dans deux cas, à savoir :

a.    lorsque ces adjudicateurs recourent à la procédure négociée sans publication préalable en raison (i) du montant (marché public dont la valeur approuvée est inférieure à 143.000,00 EUR (hors TVA)) (article 42 §1, premier alinéa, 1° a) de la loi sur les marchés publics), (ii) suite à une première procédure infructueuse dans le cadre d'une procédure ouverte ou restreinte (article 42 §1, premier alinéa, 1° c) de la loi sur les marchés publics) ou (iii) de fourniture de produits fabriqués uniquement à des fins de recherche, d'expérimentation, d'étude ou de développement (article 42 §1, premier alinéa, 4° a) ;

b.    lorsque les adjudicateurs susmentionnés font usage d'une autre procédure que dans la première hypothèse et que l'adjudicataire s'avère être une PME. Il est question d'une PME lorsqu'un certain nombre de conditions en termes d'emploi et de chiffre d'affaires annuel ou de total du bilan sont remplies :

  1. Emploi : moins de 250 personnes employées ; et 
  2. Chiffre d'affaires annuel : jusqu'à EUR 50 millions ; ou 
  3. Total du bilan annuel : au maximum EUR 43 millions.

Alors que l'adjudicataire en question doit toujours remplir la condition relative à l'emploi, la condition relative au chiffre d'affaires et au total du bilan tient compte du seuil le plus favorable.

L'article 12/1, paragraphe 3, de la loi sur les marchés publics prévoit cinq exceptions à cette obligation. Il s'agit de cas où le pouvoir adjudicateur souhaite simplement reporter le moment du financement ou lorsque l'adjudicataire a moins besoin d'une avance. Il s'agit des marchés suivants : (i) les marchés de travaux qui sont préfinancés par l'adjudicataire (par ex. contrat DBFM), (ii) les marchés publics impliquant un crédit-bail, une location ou une location-vente, (iii) les marchés publics de services d'assurance, (iv) les marchés publics basés sur un abonnement ou déterminés sur la base d'une consommation périodique, et (v) les marchés publics dont la période d'exécution est inférieure à deux mois.

En outre, le législateur a précisé les modalités de calcul et de règlement des montants des avances à chaque fois. Ainsi, le montant de l'avance est calculé sur la base d'un certain nombre de pourcentages (article 12/3 de la loi sur les marchés publics) : (i) 5 % lorsque le contractant est une entreprise de taille moyenne (moins de 250 personnes employées et un chiffre d'affaires annuel jusqu'à EUR 50 millions ou un total de bilan jusqu'à EUR 43 millions) ; (ii) 10 % lorsque le contractant est une petite entreprise (moins de 50 personnes employées et un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan jusqu'à EUR 10 millions) et (iii) 20 % lorsque le contractant est une micro-entreprise (moins de 10 personnes employées et un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan jusqu'à EUR 2 millions). Pour les petites et moyennes entreprises, les documents du marché peuvent prévoir un pourcentage supérieur à 10 % et 5 % respectivement, avec un maximum de 20 %.

Un plafond est également prévu. Sauf exception, une avance ne peut, en principe, excéder EUR 225 000.

(c) Quelques observations sur cette nouvelle réglementation

Avec cette loi modificative, le démantèlement de l'un des lieux communs de la législation sur les marchés publics semble avoir déjà commencé.

Après une première lecture de cette réglementation, nous pouvons d'ores et déjà émettre les remarques suivantes.

  1. Imposer des avances dans certains cas expose certains adjudicateurs à un risque financier en cas de problèmes lors de l'exécution du contrat, voire à la faillite de l'adjudicataire. Une nuance s'impose ici. Les pouvoirs adjudicateurs se couvrent largement contre ce risque en vérifiant les motifs légaux d'exclusion et les critères de sélection relatifs à la capacité financière et économique. Ainsi, l'absence de dettes fiscales et sociales et l'absence de faute professionnelle sont des indices de la fiabilité des opérateurs économiques. Ce risque est également atténué par le plafond de principe de EUR 225 000.
     
  2. En ce qui concerne le régime d'avances obligatoires, ce sont principalement les administrations « traditionnelles » qui sont visées. Toutefois, le législateur a voulu étendre cette disposition aux adjudicateurs financés par les administrations « traditionnelles » et donc suffisamment solides financièrement pour se conformer au système d'avances obligatoires. Cependant, la formulation de cette extension a changé tout au long du processus législatif. A l'origine, l'obligation d'avance s'appliquait aux autorités administratives au sens de l'article 14, §1 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Toutefois, le Conseil d'Etat n'a pas jugé ce critère pertinent pour couvrir les institutions financées par des fonds publics. En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que certaines personnes morales de droit privé peuvent également être considérées comme des autorités administratives. Le législateur a donc modifié ce critère.

    ​​​La version finale du texte législatif précise que le régime d'avances obligatoires s'applique également aux adjudicateurs dont les travaux sont principalement financés par ces autorités et dont la gestion est soumise à leur contrôle. Ce faisant, le législateur - sur avis de la section législation du Conseil d'État - a cherché à s'aligner sur la loi sur les marchés publics plutôt que sur les lois coordonnées sur le Conseil d'État.

    Néanmoins, certaines ambiguïtés subsistent. Par exemple, il n'est pas précisé comment ce critère de financement et de gestion doit être appréhendé (cf. que signifie « principalement », que signifie « soumis au contrôle ») ? Il s’avérera peut-être nécessaire de s'inspirer de la jurisprudence qui a déjà précisé les conditions attachées à la définition de « l'organisme de droit public » comme le prévoit déjà la réglementation (cf. article 2, 1° c) de la loi sur les marchés publics).

    La question se pose donc de savoir comment ce critère de financement et de gestion sera interprété et dans quelle mesure il conduira à ce que des pouvoirs adjudicateurs autres que ceux traditionnels se sentent également concernés par l'obligation de verser une avance. Du point de vue des PME, une interprétation large de cette obligation est évidemment bienvenue. Toutefois, il reste à voir comment les adjudicateurs « dans la zone grise » la traiteront.
     

  3. La différence de traitement introduite en fonction de la taille de l'entreprise concerne également un point important. Le législateur a justifié la distinction introduite de manière très détaillée dans l'exposé des motifs. Il se réfère notamment à un régime similaire en droit français des marchés publics et à la communication de la Commission européenne du 18 juin 2021 encourageant les États membres et les adjudicateurs à utiliser des systèmes de paiement favorables aux PME. S'ensuit une analyse complète à la lumière du principe d'égalité basé sur la jurisprudence de la Cour de Justice. Selon la section législation du Conseil d'État, cette argumentation peut raisonnablement justifier les différents régimes d'avances. Toutefois, il reste à voir si la pratique acceptera cette argumentation et si le régime sera contesté devant les juridictions.
     
  4. Il convient également de noter que le régime de paiement par avances prendra effet rétroactivement à partir du 1er janvier 2024. Ceci soulève quelques questions au regard de la sécurité juridique, compte tenu de la jurisprudence stricte de la Cour constitutionnelle. En effet, la Cour précise que la rétroactivité n'est justifiée que « que par des circonstances particulières, notamment lorsqu’elle est nécessaire pour réaliser un objectif d’intérêt général, tel que le bon fonctionnement ou la continuité du service public ». Une telle situation ne semble pas être rencontrée en l'espèce.

2 INDEMNITÉS DE SOUMISSION POUR EFFORTS CRÉATIFS

Un deuxième changement important concerne l'indemnité de soumission, qui semble ainsi répondre à une demande fondamentale et souvent justifiée du marché. Les procédures de passation de marchés exigent souvent des efforts financiers importants et prolongés de la part des entreprises concernées, qui ne sont pas toujours récompensés par l'adjudicateur, en particulier en cas de non-attribution.

Toutefois, à partir du 1er février 2024, les adjudicateurs devront en principe accorder une indemnité de soumission aux soumissionnaires non retenus (c'est-à-dire pas à l'adjudicataire lui-même) lorsqu'il est exigé que les offres soient accompagnées d'échantillons, de modèles, de prototypes, de dessins, d'autres conceptions graphiques ou de toute autre conception dans les domaines des arts plastiques, cinématographiques ou du spectacle (nouvel article 12/9 de la loi sur les marchés publics). Les travaux préparatoires précisent que le simple fait qu'une offre doive décrire la méthode de mise en œuvre proposée (le concept) (par exemple un concept pour élaborer une solution informatique) n'est certes pas suffisant pour qu'une indemnité de soumission soit obligatoire (dans la mesure où les éléments susmentionnés ne sont pas également requis).

Cette nouvelle obligation n’est pas toujours d’application :

  1. Il n'y a pas d'obligation d'attribuer une indemnité de soumission si le pouvoir adjudicateur utilise la procédure ouverte ou la procédure simplifiée avec publication préalable ou avec mise en concurrence. Il s'agit de marchés qui sont publiés et réalisés en une seule étape (sélection et attribution en une seule étape). Le législateur considère que les indemnités de soumission dans ces cas entraîneraient un risque budgétaire trop élevé pour les adjudicateurs concernés, étant donné que les adjudicateurs n'ont pas de contrôle sur le nombre d'offres effectivement reçues.
     
  2. En outre, il est désormais inscrit dans la loi que les documents du marché peuvent prévoir que les soumissionnaires qui ont présenté une offre substantiellement irrégulière ou inacceptable ne se verront pas attribuer d'indemnité de soumission ou seulement une indemnité réduite. Plutôt qu'une réelle nouveauté, il s'agit d'une pratique administrative qui est désormais inscrite dans la loi.

L'indemnité de soumission ne pourra cependant pas dépendre de l'attribution du marché. Même si le marché est abandonné (et éventuellement remis en adjudication) (ce qui est le droit de tout adjudicateur conformément à l'article 85 de la loi sur les marchés publics), une indemnité de soumission devra être versée.

La question se pose de savoir si cette obligation permettra de satisfaire pleinement la demande du marché. Le montant de l'indemnité de soumission n'est pas inscrit dans la loi et est laissé à l'appréciation des adjudicateurs eux-mêmes. Par conséquent, l'indemnité de soumission ne reflètera pas toujours les coûts engagés par le soumissionnaire. Pour contourner cette obligation, les adjudicateurs pourraient prévoir dans les documents du marché une indemnité de soumission d'un montant symbolique.

Toutefois, le fait que cette obligation soit facile à contourner ne signifie pas nécessairement qu'elle ne peut pas contribuer à renforcer la participation des PME. À tout le moins, cette obligation peut inciter les adjudicateurs à se demander si des efforts créatifs aussi importants de la part des soumissionnaires concernés sont réellement nécessaires pour évaluer les offres et, en tout état de cause, à récompenser comme il se doit les efforts des soumissionnaires le cas échéant. Après tout... if you pay peanuts, you get monkeys.

3 POSITION DES SOUMISSIONNAIRES DANS LE CLASSEMENT PROVISOIRE

Un troisième changement concerne l'obligation pour les adjudicateurs d'informer chaque soumissionnaire de sa place individuelle dans le classement provisoire immédiatement après l'ouverture des offres à partir du 1er juin 2024 (article 13 modifié de la loi sur les marchés publics). Ce sera le cas lorsqu'ils utilisent la procédure ouverte ou restreinte en dessous des seuils européens et que le prix est le seul critère d'attribution. Cela pourra se faire via la plateforme e-Procurement du SPF BOSA.

Cette modification vise à encourager les adjudicateurs à faire preuve de transparence et à permettre aux soumissionnaires d'estimer leurs chances de remporter le marché. Pour les PME en particulier, cette modification facilite la planification, compte tenu de la période d'engagement souvent prolongée et de la courte période entre la conclusion du contrat et le début des missions.

Il est évident que ce mécanisme n'est introduit que pour les procédures de passation où seul le prix est utilisé comme critère d'attribution. En effet, si un critère qualitatif est également utilisé, la place (dans le classement) n'est pas certaine et la mesure va au-delà de l'objectif susmentionné. Toutefois, il est important de noter que la place individuelle du soumissionnaire dans le classement peut être provisoire et donc incertaine même lorsque le critère d'attribution du « prix » est seul utilisé. En effet, le classement peut encore changer au cours de la procédure, par exemple en raison de l'irrégularité de certaines offres. Les soumissionnaires ne peuvent donc pas baser toute leur planification sur le classement qui leur a été communiqué. Si la ratio legis de cette modification législative est donc sans aucun doute bien intentionnée, sa valeur ajoutée semble surtout dépendre de son application dans la pratique.

D'autre part, cette mesure comporte également un risque plus élevé d'accords entre les soumissionnaires susceptibles de fausser la concurrence. C'est pourquoi elle n'a été introduite que pour les procédures inférieures aux seuils européens. En outre, la notification elle-même a une portée assez limitée. Elle ne concerne que le classement individuel. Le nom et la localisation des autres soumissionnaires ne peuvent pas être communiqués par le pouvoir adjudicateur. De plus, les soumissionnaires ne peuvent pas divulguer ces informations à d'autres candidats ou soumissionnaires et à des tiers dans le cadre de la procédure de passation. Cette interdiction ne s'applique pas aux employés du soumissionnaire, mais bien, par exemple, aux sous-traitants. De cette manière, le législateur a essayé de garantir la concurrence la plus large possible. Toutefois, la question est de savoir comment et dans quelle mesure cette interdiction de communication aux sous-traitants peut être contrôlée et appliquée. En effet, la loi ne contient aucune sanction spécifique pour de telles notifications aux sous-traitants, à l'exception des mécanismes classiques du droit de la concurrence déjà existants (voir, en particulier, l'article 69, premier alinéa, 4° de la loi sur les marchés publics). Cette disposition permet aux adjudicateurs d'exclure des soumissionnaires s'ils disposent d'indices suffisamment plausibles d'actes, d'accords ou d'ententes anticoncurrentiels. Reste à savoir si une conversation téléphonique avec un sous-traitant répond à cette exigence.

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